"La Périchole"

La version de 1868 en 2 actes



1868 n'est pas une grande année pour Offenbach. »Le Château à Toto«, opéra bouffe en 3 actes sur un livret de Meilhac et Halévy, ne parvient pas à renouveler le succès de »La Vie Parisienne«, créée 2 ans auparavant sur le même Théâtre du Palais Royal. »Le Pont des Soupirs« (2e version en 4 actes) a fait son retour le 8 mai sur le Théâtre des Variétés et se solde par un demi-échec, le livret de l'opéra étant trop faible malgré les modifications apportées au premier livret. Offenbach ne parviendra à obtenir un grand succès que fin septembre, sur le Théâtre des Bouffes Parisiens, où il donne 2 opéras en 1 acte: »Le Fifre Echanté« (créé en 1865 à Bad Ems et dont c'est ici la première apparition à Paris) et »L'Île de Tulipatan« sont salués par la critique, le premier pour sa musique, le second pour son excellent livret.

Fort de ce succès, Offenbach revient aux Variétés avec Hortense Schneider et un nouveau livret de Meilhac et Halévy: »La Périchole«. La pièce est un demi-succès ...

Revenons à l'année 1867, où Offenbach est présent sur 4 théâtres à la fois: »La Vie Parisienne« continue d'amuser le public de l'exposition au Palais Royal, tandis que les Variétés triomphent avec »La Grande Duchesse de Gérolstein« (avec Hortense Schneider), que les Menus Plaisirs font florès avec la seconde version de »Geneviève de Brabant« et que l'Opéra Comique donne de nouveau sa chance au compositeur avec »Robinson Crusoé«.

Dans »Robinson«, Offenbach déploie des trésors de romantisme et des passages de verve bouffonne qui sont salués par la critique (sans convaincre tout à fait).

De son côté, Halévy, pour des raisons qui nous sont inconnues, plonge dans une dépression. On en ressent les effets dans le livret du »Château à Toto«, où la nostalgie et la lassitude de la grande ville ont pris la place de la bouffonnerie échevelée de »Geneviève« ou de »La Grande Duchesse«. Offenbach le suit musicalement, avec des airs tout en finesse.

»La Périchole«, en octobre, doit rattraper le demi-échec du »Pont des Soupirs«. Le livret est lui aussi très différent dans l'atmosphère: on y a faim, on y est incapable d'aimer car sans le sou, on y est méprisé, on y est malheureux, on y est le jouet des souverains (contrairement à la »Grande Duchesse« où l'héroïne est le jouet de ses amours capricieuses).

La scène de griserie à la fin de l'acte I et le mariage dont les mariés sont gris sont très mal perçus par le public. Le livret se termine de façon abrupte. Et même si les couplets de l'Espagnol, la Lettre et d'autres airs sont très vite célèbres, la pièce n'est pas maintenue à l'affiche.

L'oeuvre connaîtra le succès en 1874, dans sa version définitive en 3 actes et 4 tableaux. Mais Offenbach n'en aura donné pas moins de 5 versions avant entre Vienne et Paris.

Penchons-nous maintenant sur les différences majeures de la partition en 2 actes avec la version que nous connaissons. Elle compte 19 numéros (contre 23 en 1874) dont 4 disparaîtrons dans la nouvelle version.

L'acte I est identique à l'actuel, bien que la Séguedille (N° 5 "Le Muletier et la Jeune Personne") soit mentionnée alors comme »passée au théâtre«. Le deuxième acte de 1874 est, en fait, la première partie inchangée de l'acte II de 1868 *: il s'achève sur le N° 14, l'ensemble des Maris récalcitrants, qui devient ainsi final ** (en étant inchangé si ce n'est la ritournelle sur laquelle tombe désormais le rideau).

La suite devient plus intéressante. Le N° 15 est un duo entre la Périchole et le Vice-Roi, le duo des bijoux (que l'on donne parfois entre les actes II et III) et dans lequel on trouve une réminiscence du »Ah! que j'aime les militaires« dans le »Ah! que j'aime les diamants«. Petit clin d'oeil à la chère Hortense. Le N° 16 est une reprise, par la Perichole, de l'air »Les Femmes il n'y a qu'ça« et dans laquelle elle chante à Piquillo qu'il vaut mieux se laisser conduire par sa bien-aimée lorsqu'elle sait où elle nous mène. Le N° 17 est un morceau choral, »le Couvert du Roi«, pendant lequel on sert son dîner à Don Andrès (ce dernier ne mangera de rien par peur qu'on l'empoisonne). Le N° 18 est une reprise intégrale (des 2 couplets et des 2 refrains) de la séguedille N° 5 du premier acte mais avec de nouvelles paroles (résumant fort habilement la pièce). Don Andrès pardonne, autorise la Périchole à garder ses diamants et le final, N° 19, reste inchangé du final de l'acte III actuel.

Peut-être que le dénouement hâtif de la pièce a dérouté le public, en tout cas, une chose est sûre, sa musique et son sujet tragi-comique a conduit l'ouvrage à son demi-succès. Non pas que la musique soit mauvaise, mais parce qu'Offenbach évolue vers le style opéra-comique en abandonnant peu à peu la bouffonnerie et que cette évolution vient en avance.

Aujourd'hui, faut-il jouer »La Périchole« dans sa version primitive en 2 actes? Les numéros ne sont guère différents et on peut aisément réintégrer le N° 15 duo des bijoux dans l'interminable scène parlée du 1er acte où le Vice-Roi tente de convaincre la Périchole de se marier. Le couvert du roi N° 17 peut (comme cela a été fait de façon tronquée par Michel Plasson pour son enregistrement chez EMI Classics) être inséré avant le final de l'acte II ... Les 2 autres numéros étant des reprises, il est inutile de chercher à les replacer ...

En conclusion, s'il est peu probable de revoir cette version primitive de »La Périchole«, il n'en demeure pas moins que cet ouvrage, avec le »Château à Toto«, sont les prémices d'une évolution qu'Offenbach tend à généraliser à ses oeuvres entières: ce qui n'était hier que des scènes dans un opéra bouffe, ou une exception dans la production annuelle (cf. »Les Bergers«, »La Chanson de Fortunio« ... ) se développe de façon plus conséquente. Et c'est en cela que réside le Génie du Petit Mozart des Champs Elysées ***.

[ Jérôme Collomb ]



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Ce qui explique la faiblesse de cet acte dans la version 3 actes: il ne s'y passe rien d'intéressant hormis le final puisqu'il s'agit d'une amorce d'acte et non d'un acte réel.

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Alors qu'il est le morceau central de l'acte II dans la version de 1868.

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L'expression est de Rossini.




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 • © Februar 2007 •